La révolution du réseau électrique : comment les supraconducteurs transformeront l’énergie de demain pour une transition sûre et efficace
Électrification de demain
15 septembre 2025
15 min
Superconductivity and EV, in cities

Au moins 3 000 gigawatts de projets d’énergie renouvelable sont, à l’heure actuelle, en attente de raccordement dans le monde entier, dont 1 500 gigawatts à un stade avancé. Ce volume correspond à cinq fois la capacité solaire et éolienne ajoutée en 2022, alors même que les données disponibles ne couvrent qu’une partie de cette capacité.

Alors, si la production d’énergie durable n’est pas le problème, quel est-il ? Le véritable obstacle réside dans le transport de cette énergie du lieu de production vers celui où elle est nécessaire. Or, ces goulots d’étranglement constituent l’un des plus grands risques pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, la sécurité énergétique et la résilience climatique.

La transition énergétique exige des infrastructures à la hauteur de l’ampleur et de l’urgence du défi. C’est là qu’interviennent les supraconducteurs, une (super) solution révolutionnaire capable d’aligner la capacité du réseau sur les ambitions.

Le défi des infrastructures

Alors que la demande en véhicules électriques, en production d’hydrogène et en systèmes de chauffage et de climatisation s’accélère, les réseaux électriques sont soumis à une pression sans précédent. Cependant, une grande partie des réseaux câblés actuels, notamment en Europe occidentale, en Amérique du Nord et au Japon, datent déjà de plusieurs décennies et n’ont jamais été conçus pour supporter les charges actuelles.

Prenons l’exemple d’un opérateur de réseau de distribution à New York, dont le réseau câblé a plus de 50 ans et fonctionne presque à pleine capacité. L’ajout de nouvelles charges, provenant de véhicules électriques et de pompes à chaleur, accélère non seulement le vieillissement des câbles existants, mais limite également la capacité de connexion de nouvelles productions renouvelables en raison de contraintes thermiques et de tension. Le remplacement ou la modernisation de ces câbles par des solutions haute tension conventionnelles nécessite des travaux d’excavation importants en zone urbaine, où le sous-sol est déjà encombré d’infrastructures de télécommunications, d’eau, de gaz et de transport.

Même lorsque l’installation est techniquement possible, les restrictions environnementales, les frais de location de voies et les frais de gestion du trafic peuvent augmenter le coût des projets de plusieurs centaines de milliers de dollars. L’acquisition de terrains pour des tracés de câbles plus larges complique encore la tâche, en particulier lorsque les emprises existantes ne permettent pas l’espacement nécessaire aux câbles conventionnels, qui nécessitent une séparation importante pour gérer les effets de la chaleur et les interférences électromagnétiques.

Parallèlement, les exigences de sécurité et de fiabilité ne cessent de croître. Les réseaux doivent fournir de l’électricité sans coupures, pannes, défaillances en cascade ou pannes de courant. Ils doivent gérer les courants de défaut susceptibles d’endommager des actifs critiques tels que les transformateurs et les appareillages de commutation. Face aux attentes croissantes du public, les réseaux doivent minimiser les interférences électromagnétiques, réduire les émissions de CO₂, recycler les équipements obsolètes de manière responsable et rassurer les populations quant à la sécurité.

Ce scénario se joue dans les grandes villes du monde entier, tandis que les zones rurales sont confrontées à leurs propres contraintes d’infrastructures. Répondre aux besoins d’électrification à grande échelle nécessitera des mises à niveau d’infrastructures massives : les réseaux auront besoin d’environ 80 millions de kilomètres de câbles neufs ou rénovés d’ici à 2040, et les systèmes conventionnels ne peuvent à eux seuls répondre à la demande.

data center

L’enjeu majeur des data centers

Les data centers (centres de données) sont devenus le cœur de l’infrastructure numérique, fonctionnant avec une puissance de calcul, des capacités de stockage et des besoins énergétiques considérables. Cependant, l’augmentation de leur encombrement et de leur consommation d’énergie entraîne des défis majeurs en termes d’efficacité, de gestion thermique, d’utilisation des sols et d’impact environnemental. La demande de services numériques explose. Face à la croissance exponentielle de l’économie numérique, les centres de données deviennent l’épine dorsale de l’infrastructure numérique mondiale. Des centres de données hyperscale, de l’ordre du gigawatt émergent pour répondre à la demande croissante de calcul, notamment grâce à l’intelligence artificielle, aux services cloud et à l’analyse avancée. Ces installations de nouvelle génération repoussent les limites de l’infrastructure électrique traditionnelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des data centers.

Les besoins en énergie augmentent rapidement, les nouveaux centres de données hyperscale étant conçus pour des capacités approchant ou dépassant les 5 gigawatts, soit un ordre de grandeur supérieur à celui des installations de la génération précédente. Cette envergure pose des défis majeurs en matière de distribution d’énergie, de gestion thermique, d’utilisation des sols, d’émissions de carbone et d’investissement. La dépendance actuelle aux systèmes de câblage conventionnels en cuivre est de moins en moins durable.

Le goulot d’étranglement en chiffres

3 000 GW

de projets d’énergies renouvelables sont bloqués dans les files d’attente de raccordement au réseau dans le monde, soit cinq fois la capacité solaire et éolienne ajoutée en 2022

1 500 GW

de ce total sont à un stade avancé

80m km

de câbles neufs ou rénovés sont nécessaires d’ici à 2040 pour atteindre les objectifs d’électrification

Environ

10 %

de l’électricité est perdue lors du transport sur de longues distances, soit environ 180 TWh par an en Europe

> 5 GW

de capacité énergétique pour les nouveaux centres de données hyperscale, soit un ordre de grandeur supérieur à celui des installations de la génération précédente. Cette envergure pose des défis majeurs en matière de distribution d’énergie, de gestion thermique, d’aménagement du territoire, d’émissions de carbone et d’investissement

La solution supraconductrice

Les câbles supraconducteurs à haute température (HTS) et les limiteurs de courant de défaut représentent une approche fondamentalement différente de la transmission d’énergie. Cette technologie exploite la perte totale de résistance électrique qui se produit dans certains matériaux à des températures extrêmement basses, l’une des propriétés clés de la supraconductivité.

Les matériaux HTS nécessitent un refroidissement à environ -200 °C, généralement à l’azote liquide. « Haute température » ​​fait ici référence à la première génération de supraconducteurs, qui nécessite des températures inférieures à -243 °C pour fonctionner. L’azote liquide circule dans des enveloppes cryogéniques, une gaine thermiquement isolée qui entoure le câble. Relativement peu coûteux, ce dernier est sans danger pour l’environnement et plus facile à gérer que de nombreux fluides de refroidissement industriels. Plus important encore, l’énergie économisée grâce à l’élimination des pertes de transmission dépasse l’énergie nécessaire au maintien de l’environnement cryogénique.

L’électricité qui circule actuellement dans votre maison a parcouru des centaines de kilomètres de câbles résistifs conventionnels, perdant environ 10 % de sa puissance en cours de route. Ces déchets, environ 180 TWh par an rien qu’en Europe, suffisent à alimenter trois grandes villes. Les câbles HTS consomment dix fois moins d’énergie pour fournir de l’électricité.

Pourquoi choisir des câbles supraconducteurs ?

Pour les réseaux modernes, les systèmes HTS offrent des avantages considérables par rapport aux alternatives conventionnelles, notamment en milieu urbain dense :

  • Gain d’espace et économie : les câbles HTS ne génèrent ni chaleur ni champs électromagnétiques, quelle que soit la charge le long du tracé, de sorte qu’aucune séparation de phase n’est nécessaire. Les câbles peuvent être enterrés à n’importe quelle profondeur et à proximité d’autres réseaux multi-énergies sans tunnels coûteux ni conduits spécialisés, réduisant ainsi les emprises jusqu’à un dixième de la largeur des systèmes conventionnels. Dans les villes où le coût du terrain se chiffre en dizaines de milliers de dollars par mètre, cet avantage est révolutionnaire.
  • Capacité de transport considérable : un seul câble HTS peut transporter plus de 3 gigawatts. Moins de circuits et des mises à niveau minimales des sous-stations sont nécessaires, tandis que les rénovations permettent de multiplier la capacité des tunnels sans travaux majeurs, avec des pertes électriques minimales, voire nulles, en courant continu.
  • Empreinte environnementale réduite : des travaux d’excavation réduits et une obtention de permis simplifiée permettent de raccourcir les délais des projets et de réduire l’opposition du public.
  • Résilience : Les câbles supraconducteurs entièrement blindés sont résistants aux intempéries, hautement sécurisés et quasiment exempts de champs électromagnétiques parasites. Ainsi, la disponibilité de l’électricité est préservée même en cas de perturbation du réseau.

Une équation gagnante !

Superconductivity and train stations, in cities, data centers

Transformation du réseau au-delà de la capacité

Contrairement aux réseaux conventionnels, confrontés à des difficultés avec des ressources énergétiques décentralisées comme le solaire sur les toits, les piles à combustible et les parcs éoliens isolés, les systèmes HTS permettent aux réseaux d’absorber l’énergie de n’importe quelle source et de faciliter les flux d’électricité dictés par le marché.

Les limiteurs de courant de défaut supraconducteurs (SFCL) sont invisibles dans le réseau en conditions normales et passent automatiquement à un état hautement résistif en cas de défaut, limitant ainsi les courants dangereux et réduisant le niveau de courant de court-circuit supporté par tous les équipements du poste avant l’activation des disjoncteurs. Cette technologie exploite le comportement intrinsèque des supraconducteurs et ne nécessite ni contrôle actif ni surveillance.

Cette technologie favorise la transition vers des réseaux plus intelligents et plus flexibles, où la demande peut s’ajuster à de multiples sources d’approvisionnement. Les densités énergétiques urbaines peuvent augmenter considérablement avec un minimum de perturbations publiques, grâce aux SFCL, capables d’absorber l’augmentation du courant de court-circuit induite par l’ajout de nouvelles sources et de nouvelles charges sur le réseau.

En ce qui concerne les infrastructures de recharge des véhicules électriques, les avantages en termes de capacité et d’efficacité deviennent particulièrement importants à mesure que la vitesse de recharge augmente et que le déploiement s’intensifie. Les processus d’électrification industrielle nécessitant une alimentation électrique fiable et en grande quantité peuvent être pris en charge sans les investissements massifs en infrastructures que nécessiteraient les systèmes conventionnels.

Du côté des data centers, cela offre des avantages considérables en matière de transport, de distribution et de conception d’infrastructures. Fournir une alimentation électrique efficace et fiable dans des espaces restreints est une préoccupation majeure de l’industrie, et les systèmes de câbles supraconducteurs offrent une solution prometteuse. Avec une résistance électrique nulle, une capacité de courant ultra-élevée et un encombrement réduit, les câbles HTS peuvent simplifier radicalement les infrastructures électriques, réduire les charges thermiques et soutenir les objectifs plus larges de durabilité et d’électrification. Les câbles supraconducteurs (systèmes supraconducteurs à haute température [HTS]) représentent une solution transformatrice pour le transport d’électricité au sein et autour des centres de données à grande échelle. Ces conducteurs avancés peuvent transmettre l’électricité avec une résistance quasi nulle, éliminant ainsi les pertes d’énergie et la production de chaleur inhérentes aux systèmes traditionnels à base de cuivre.

Réseaux plus intelligents et plus denses

  • Sources d’énergie disponibles en tout lieu : les câbles HTS gèrent les panneaux solaires sur toits, les piles à combustible et les parcs éoliens isolés.
  • Protection automatique : les SFCL limitent instantanément les courants de défaut, sans aucun contrôle actif.
  • Réseaux intelligents et résilients : les SFCL permettent d’augmenter l’offre et la demande, améliorant ainsi la fiabilité et favorisant l’intégration de la production décentralisée ou à distance.
  • Prêts pour l’électrification : les réseaux accompagnent la montée en puissance de la recharge des véhicules électriques et les charges industrielles sans nécessiter d’infrastructures lourdes supplémentaires.

Prêt pour une révolution des réseaux supraconducteurs ?

Les exigences en matière d’infrastructures, la maturité technologique et une solide analyse de rentabilité s’alignent pour soutenir l’adoption généralisée des HTS. Des entreprises comme Nexans, implantées en Allemagne, en France et en Norvège, ont développé une expertise de pointe sur l’ensemble de la technologie supraconductrice et contribuent à l’élaboration de normes internationales qui accéléreront son déploiement mondial.

La question n’est pas de savoir si la technologie supraconductrice transformera les réseaux électriques, mais de savoir avec quelle rapidité les services publics, les gouvernements et les investisseurs reconnaîtront cette opportunité. Les opérateurs de réseaux qui agiront rapidement bénéficieront d’avantages concurrentiels significatifs en termes d’efficacité, de fiabilité et de capacité. Ceux qui patienteront risqueront de se retrouver limités par les limitations d’infrastructure que la technologie supraconductrice est censée résoudre.

Photo of Yann Duclot

Auteur

Yann Duclot est Directeur des Acceleration Units chez Nexans. À ce poste, il supervise les Acceleration Units de Nexans, qui regroupent deux entités centrées sur la transition énergétique : Nexans Solar Technologies (NST) et Nexans Machinery, Cryogenics and Superconductivity (MCS). Yann dirige une équipe de 65 personnes basées en France et en Allemagne, spécialisée dans l’ingénierie et la fabrication de technologies nouvelles et de rupture (supraconductivité, cryogénie, trackers solaires), afin d’accélérer la croissance sur les marchés à fort potentiel de la transition énergétique.

Yann a commencé sa carrière chez Nexans en 2000 et, après une courte expérience chez Cavotec en tant que Chief Marketing Officer, il fait aujourd’hui partie du Groupe depuis 14 ans. Fort de plus de 25 ans d’expérience en direction de business units, en transformation organisationnelle et en management de l’innovation, il a joué un rôle clé dans la montée en puissance des activités et la croissance rentable de l’entreprise. Il est titulaire d’un Master of Science de Grenoble École de Management (GEM).