Les systèmes supraconducteurs : une révolution pour les réseaux énergétiques de demain

Électrification de demain
03 octobre 2025
10 min
superconductivity-grid-banner

Un réseau urbain sous tension

Imaginez que vous branchiez tous vos appareils électroménagers flambant neufs sur un système électrique installé il y a près de cent ans. Un scénario similaire se joue à l’échelle mondiale avec les infrastructures qui vieillissent plus vite qu’elles ne sont remplacées ou modernisées. Le risque de défaillance du système est élevé, et il en va de même pour nos réseaux électriques urbains. Selon les Nations unies, 55 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines. Une proportion qui devrait passer à 68 % d’ici à 2050 avec des communautés citadines qui exigent une électricité ininterrompue, de haute qualité, et un minimum de pannes ou d’interruptions.

Parallèlement, l’adoption croissante des véhicules électriques, des pompes à chaleur et d’autres technologies à faible émission de carbone, combinée à la réduction de la taille des ménages, entraîne une forte augmentation de la consommation d’électricité dans les secteurs résidentiel et industriel. Dans le même temps, une grande partie des infrastructures électriques existantes vieillit et atteint les limites de ses capacités. Les câbles et systèmes de distribution conventionnels, initialement conçus pour les anciens modèles énergétiques centralisés, sont aujourd’hui soumis à des contraintes croissantes en raison des flux d’énergie décentralisés et des demandes de charge plus élevées. En d’autres termes, il existe un décalage croissant entre ce que les réseaux énergétiques peuvent fournir et ce dont les villes actuelles ont besoin.

Plusieurs contraintes systémiques entravent la modernisation efficace des réseaux urbains :

  • Contraintes d’espace : les systèmes de câblage conventionnels nécessitent un espace conséquent ainsi que des équipements spécialisés. Or, les couloirs souterrains sont déjà saturés par les infrastructures existantes, rendant ainsi complexe la pose de nouveaux câbles.
  • Coûts croissants : les restrictions environnementales, l’acquisition de terrains et les frais de location peuvent ajouter des centaines de milliers de dollars au coût des projets.
  • Goulots d’étranglement du réseau : les contraintes environnementales et de proximité limitent considérablement le raccordement de nouvelles sources d’énergie renouvelables, faisant ainsi obstacle à la transition énergétique qu’ils doivent justement faciliter.
  • Acceptabilité sociale limitée : les travaux de construction nécessaires à l’installation de nouveaux câbles s’accompagnent souvent de nuisances sonores, d’embouteillages et de préoccupations environnementales, ce qui entraîne une opposition citoyenne croissante.
  • Le constat est sans appel : pour réussir la transition énergétique, il faut repenser radicalement les infrastructures électriques à l’aide de technologies innovantes qui permettent d’équilibrer la demande croissante, la résilience du système et la qualité de vie urbaine. C’est là qu’interviennent les systèmes supraconducteurs.

La technologie supraconductrice, une réponse aux défis du réseau électrique urbain

Les câbles HTS : une transmission sans résistance

La technologie des supraconducteurs à haute température (HTS) tire sa puissance transformatrice de sa propriété fondamentale : la supraconductivité. Avec une résistance électrique pratiquement nulle, ces câbles peuvent transporter des courants extrêmement élevés dans des sections beaucoup plus petites que les conducteurs en cuivre ou en aluminium. À titre d’exemple, un seul câble de 17 centimètres de diamètre peut supporter jusqu’à 3,2 gigawatts à haute tension. Cela équivaut à la production d’environ trois réacteurs nucléaires – et plusieurs centaines de mégawatts en souterrain à moyenne tension. Cette capacité permet d’alimenter de grandes villes sans avoir à ajouter de nouvelles lignes haute tension.

Cette absence de génération de chaleur élimine le besoin de larges dégagements thermiques et de systèmes de ventilation. Les systèmes HTS peuvent ainsi être installés dans de simples tranchées plutôt que dans des tunnels construits spécialement à cet effet. Leur encombrement réduit signifie que les couloirs nécessaires sont jusqu’à dix fois plus étroits que pour les systèmes conventionnels. Ils ne génèrent également aucune interférence électromagnétique et n’émettent aucun champ magnétique externe. Des atouts qui les rendent sûrs pour les autres infrastructures dans ces espaces confinés.

Au-delà des avantages liés à leur installation, les systèmes HTS offrent une grande flexibilité opérationnelle. Un système conventionnel de 400 kilovolts (kV) peut être remplacé par un système supraconducteur de 132 ou 275 kV. Cette substitution se fait sans perte de capacité et à moindre coût, principalement grâce à l’économie réalisée sur les gros transformateurs de 400 kV dans la sous-station. De plus, le système de câbles, y compris les systèmes auxiliaires, étant modulaire, la même conception de câble fonctionne aussi bien pour les réseaux urbains compacts que pour le transport à longue distance.

 Les SFCL : une protection instantanée contre les défauts

Les propriétés supraconductrices peuvent également être utilisées pour atténuer les surintensités, presque instantanément. Les limiteurs de courant de défaut supraconducteurs (SFCL) offrent une protection essentielle contre les courants de défaut qui peuvent endommager des équipements critiques tels que les transformateurs et les appareillages de commutation. En cas de court-circuit ou de défaut, les SFCL limitent instantanément et automatiquement les courants excessifs sans intervention mécanique ni perturbation de tension. Les SFCL exploitent les propriétés intrinsèques des supraconducteurs. En quelques millisecondes, ils passent d’un état sans résistance à un état résistif. Ils limitent ainsi le courant de défaut avant qu’il n’endommage les équipements sur la même branche. Les SFCL peuvent s’intégrer à n’importe quel système électrique. Ils améliorent la fiabilité du réseau et optimisent la protection des infrastructures. Ils réduisent également le vieillissement des équipements causé par le stress thermique.

 

La preuve par l’exemple : des applications réussies

Plusieurs projets opérationnels démontrent la maturité technologique et le potentiel transformateur des systèmes supraconducteurs dans divers environnements urbains. En voici trois exemples :

Projet AmpaCity, Allemagne

Nexans a fabriqué et déployé en 2014 la plus longue liaison par câble supraconducteur au monde. Elle comprend un câble HTS triphasé de 10 kV d’une capacité de 40 MVA, en remplacement d’un circuit conventionnel de 110 kV, et intégrant un limiteur de courant de défaut supraconducteur. Les sept années de service continu ont prouvé la fiabilité à long terme de la technologie supraconductrice.

Projet LIPA, États-Unis

Ce projet a permis de démontrer les capacités de la supraconductivité dans les infrastructures électriques américaines. En 2008 et 2012, Nexans a développé et livré des systèmes complets de câbles supraconducteurs 138 kV CA, comprenant l’âme du câble, l’enveloppe cryogénique et les terminaisons, tout en supervisant l’installation et la mise en service.

Projet Best Paths

Nexans a conçu et construit une boucle supraconductrice 320 kV CC pionnière, composée d’un câble monopôle de 30 mètres transportant un courant de 10 kA pour une capacité nominale de 3,2 GW. Le projet comprenait des essais de tension complets à 1,85 fois la tension nominale (jusqu’à 592 kVDC) et des essais d’impulsion. Cela a permis d’obtenir la première qualification au monde d’une boucle supraconductrice HVDC 320 kV à grande échelle. L’essai a été réalisé sur une plateforme dédiée. Le circuit HVDC atteint une puissance de 6,4 GW, répartis sur deux monopôles. Il s’agit de la plus grande capacité de transport d’électricité jamais démontrée.

Ces réalisations concrètes démontrent que les supraconducteurs sont passés d’une technologie expérimentale à une solution industrielle, capable de transformer le transport et la distribution d’électricité en milieu urbain.

 

Construire le réseau électrique de demain

Avec des projets opérationnels qui prouvent leur fiabilité et des villes confrontées à une pression croissante pour s’électrifier rapidement, les systèmes supraconducteurs représentent plus qu’une simple mise à niveau. Ils constituent un changement fondamental dans la manière dont les réseaux urbains peuvent être conçus et déployés.

Plutôt que de lutter contre les contraintes d’espace et la résistance des communautés avec des solutions conventionnelles, les services publics peuvent désormais construire des réseaux plus petits, plus silencieux et plus efficaces qui soutiennent réellement la transition énergétique qu’ils sont censés permettre. Les systèmes supraconducteurs offrent aux villes un moyen pratique de répondre à la demande croissante en électricité tout en atteignant leurs objectifs de décarbonation : une infrastructure prête pour l’avenir, pour une énergie urbaine résiliente et durable.

Picture of Beate West

Auteurs

Dr. Beate West est Head of Engineering for Superconducting Systems chez Nexans, à Hanovre. Elle a rejoint Nexans en 2010 en tant qu’ingénieure de recherche. Elle est responsable de la conception des câbles supraconducteurs et des limiteurs de courant de défaut.

Beate est titulaire d’un diplôme et d’un doctorat en physique de l’Université de Bielefeld.

arnaud-allais

Dr. Arnaud Allais est Chief Technology Officer Machinery, Cryogenic and Superconducting Systems chez Nexans.  Arnaud est une autorité mondialement reconnue dans les technologies avancées des réseaux électriques et la supraconductivité à haute température (HTS). Fort de plus de vingt ans d’expérience, il pilote l’innovation et le développement stratégique de systèmes supraconducteurs avancés qui façonnent l’avenir du transport d’énergie.

Arnaud a obtenu son doctorat en génie des matériaux à l’École des Mines de Paris, en collaboration avec Alcatel, où il s’est spécialisé dans la modélisation des fils supraconducteurs Bi2223 Powder-in-Tube. Il est également diplômé en ingénierie de l’énergie et des matériaux de l’École d’ingénieurs d’Orléans. Tout au long de sa carrière chez Nexans, Arnaud a occupé plusieurs postes de direction clés, notamment celui de Directeur du Centre de Recherche Nexans et de Directeur de programme R&D au SuperGrid Institute – une coentreprise de recherche et développement avec GE, Alstom, EDF et de grandes universités françaises.