Les data centers du futur : alimentés par des câbles supraconducteurs pour une croissance évolutive et durable
Électrification de demain
19 novembre 2025
12 min
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Répondre aux besoins d’un monde numérique en pleine expansion

Depuis 2010, le nombre d’utilisateurs d’internet dans le monde a plus que doublé – 5,5 milliards utilisateurs d’internet en 2024, tandis que le volume du trafic en ligne a été multiplié par vingt-cinq. Véritable colonne vertébrale de l’économie numérique, les data centers se sont développés à un rythme sans précédent. Pourtant, leur mode d’alimentation énergétique n’a pas évolué au même rythme que leurs usages.

Imaginez vouloir relier deux villes éloignées avec une simple locomotive, alors qu’il vous faudrait un train à grande vitesse. C’est exactement le défi auquel sont confrontés les data centers modernes : devenus de véritables usines à données. Ces infrastructures qui consommaient autrefois quelques dizaines ou centaines de mégawatts franchissent désormais le seuil du gigawatt, atteignant des niveaux comparables à ceux de l’industrie lourde. Cette montée en puissance met à rude épreuve les systèmes d’alimentation traditionnels à base de cuivre, obligeant les opérateurs à consacrer toujours plus d’espace, de refroidissement et de capitaux à leurs réseaux internes plutôt qu’à la puissance de calcul.

Jusqu’à présent, les gains d’efficacité ont permis de contenir la consommation énergétique totale des data centers entre 1 et 1,5 % de la demande mondiale. Mais si la tendance se poursuit, cette part pourrait grimper à 10 % d’ici 2030. Pour accompagner cette croissance de manière durable tout en maintenant un taux de disponibilité de 99 %, il est nécessaire de repenser en profondeur la distribution électrique interne.

Alimenter les data centers de nouvelle génération

L’alimentation des data centers à l’échelle du gigawatt repose généralement sur deux niveaux de tension :

  • À l’extérieur des bâtiments, des câbles relient les salles informatiques au réseau de transport ou de distribution. Ils alimentent les data centers à partir des postes électriques haute tension, principaux et secondaires, au moyen de câbles haute et/ou moyenne tension.
  • À l’intérieur, les racks et équipements informatiques des salles sont connectés à un niveau de tension faible, à l’aide de câbles de distribution.

Chaque niveau de tension présente ses propres défis face aux besoins énergétiques colossaux des data centers, en particulier ceux dédiés à l’intelligence artificielle.

Au niveau de la moyenne tension, la puissance totale d’un data center est répartie entre ses différentes salles de données, où sont hébergés les serveurs. Pour donner un ordre d’idée : un data center de nouvelle génération peut nécessiter entre 100 et 400 MW par salle de données, selon sa taille et ses choix d’architecture. Fournir une telle puissance impose l’installation d’un très grand nombre de câbles en parallèle. Comme ces câbles sont généralement enterrés, cela engendre plusieurs contraintes :

  • une emprise au sol importante,
  • des coûts de génie civil très élevés,
  • et des pertes électriques (pertes Joule), qui réduisent le rendement et réchauffent le sol.

Exemple :

L’alimentation d’une seule salle informatique de 300 MW nécessite 36 câbles de forte section (600 mm²) à 33 kV. Un data center de 1,8 GW comptant six salles de 300 MW aurait donc besoin de 216 câbles enterrés — une infrastructure massive, complexe et extrêmement coûteuse.

Au niveau basse tension, à proximité des salles de données, des transformateurs abaissent la tension moyenne pour alimenter directement les équipements informatiques. Acheminer entre 100 et 400 MW sous 480 ou 600 volts génère des courants très élevés, de l’ordre de 6 à 10 kA.

De tels courants nécessitent un très grand nombre de câbles basse tension, installés à l’intérieur de la salle des données dans des chemins de câbles. Cette solution entraîne plusieurs contraintes :

  • Une emprise au sol importante.
  • Une architecture d’installation complexe et onéreuse.
  • Des exigences strictes en matière de compatibilité électromagnétique, tant entre les câbles d’un même chemin de câbles qu’avec les équipements situés à proximité.
  • Une gestion thermique : le câblage conventionnel en cuivre génère une chaleur importante, ce qui entraîne une augmentation de la demande en systèmes de chauffage, ventilation et climatisation et contribue à des inefficacités opérationnelles.

À cela s’ajoutent les pertes Joule, qui peuvent à elles seules diminuer le rendement global d’un data center de 5 à 10 %. Aujourd’hui, certaines solutions envisagent déjà de refroidir les câbles basse tension pour limiter ces pertes et améliorer l’efficacité. Mais cela souligne surtout les limites des solutions de câblage conventionnelles.

Chiffres clés de l’infrastructure numérique

1+ GW

capacité énergétique des data centers hyperscale de nouvelle génération

10 à 12 %

de la demande en électricité pour alimenter les data centers, soit 3,1 TWh d’ici à 2030

99 %

exigence de disponibilité imposant une résilience exceptionnelle du réseau interne

Les limites : la supraconductivité au service des data centers de nouvelle génération

Les atouts de la distribution interne

  • Aucune perte d’énergie : rendement supérieur à 99,99 % et baisse des coûts d’exploitation.
  • Densité de courant exceptionnelle : un seul câble de 300 MW à 33 kV remplace 36 câbles en cuivre de 600 mm² ; un unique câble basse tension (480 V / 600 V) peut transporter jusqu’à 10 kA, avec un diamètre inférieur ou égal à 250 mm.
  • Infrastructure simplifiée : moins de câbles, moins de travaux de génie civil, installation plus rapide.
  • Absence d’interférences : compatibilité électromagnétique totale.
  • Efficacité thermique : aucune dissipation de chaleur, environnement stable.

Assurer des opérations résilientes et durables

La supraconductivité ne se limite pas au transport d’énergie : elle contribue aussi à la protection des réseaux électriques grâce aux limiteurs de courant de défaut supraconducteurs. Conçus pour absorber les courants de défaut élevés dans les réseaux moyenne et basse tension — notamment au sein des data centers —, les SFCL réduisent considérablement, voire suppriment, les surintensités. Ils garantissent ainsi la continuité de service, un enjeu critique pour ce type d’infrastructure. Leur utilisation allège également la contrainte sur les disjoncteurs et l’électronique de puissance, simplifiant toute l’architecture électrique, des transformateurs jusqu’aux équipements informatiques.

Le mode de fonctionnement est le suivant : en conditions normales, un limiteur de courant de défaut supraconducteurs présente une résistance nulle et n’a donc aucun impact sur le réseau. Mais lorsqu’un défaut fait dépasser le courant nominal, le matériau supraconducteur bascule instantanément dans un état résistif. Cette résistance temporaire n’apparaît que durant le défaut et permet de réduire fortement le courant de court-circuit.

À titre d’exemple, dans un réseau de data center où les courants de défaut moyenne tension peuvent atteindre de 20 kA à plus de 50 kA en pointe, la présence d’un limiteur de courant de défaut supraconducteurs peut diviser ces valeurs par deux, voire davantage. Ce dispositif limite ou élimine le défaut tout en réduisant les contraintes sur l’ensemble des composants électriques. Résultat : une durée de vie accrue des équipements, des coûts réduits de maintenance et, surtout, une continuité de service assurée de manière entièrement autonome.

Une résilience renforcée grâce à une protection avancée

Pour les opérateurs de data centers, les limiteurs de courant de défaut supraconducteurs offrent des capacités de protection bien supérieures aux systèmes conventionnels :

  • Protection renforcée des infrastructures critiques, notamment les transformateurs, appareillages de commutation et unités de distribution électrique.
  • Réduction du risque de pannes en cascade pouvant affecter plusieurs zones du site.
  • Amélioration de la qualité de l’alimentation grâce à une gestion automatique des courants de défaut.
  • Diminution des besoins de maintenance, liée à la réduction des contraintes mécaniques sur les équipements de protection.
superconductivity in data centers

Accélérer l’avenir des infrastructures numériques

Face à la croissance exponentielle des besoins numériques, la technologie supraconductrice pourrait rendre les data centers — longtemps perçus comme énergivores — efficaces, résilients et intégrés aux réseaux intelligents.

La compacité et la modularité des systèmes supraconducteurs permettent d’implanter les data centers plus près des zones urbaines, réduisant ainsi la latence des réseaux et les pertes liées au transport d’électricité depuis des sites éloignés. Cette approche soutient un modèle d’infrastructure distribuée, indispensable à la fois à la performance des services numériques et à la stabilité des réseaux électriques. À mesure que l’économie numérique poursuit sa croissance, les gains d’efficacité offerts par la supraconductivité deviennent un levier clé de développement durable.

Des entreprises comme Nexans, pionnière des systèmes de câbles supraconducteurs et des limiteurs de courant de défaut supraconducteurs, impulsent cette révolution infrastructurelle à travers la recherche, la production et le déploiement de solutions innovantes — ouvrant la voie aux data centers de nouvelle génération et à un avenir numérique durable.

Gabriel Hajiri

Auteur

Gabriel Hajiri a rejoint Nexans en 2024 en tant qu’ingénieur systèmes supraconducteurs au sein de l’unité Nexans MCS. Il pilote la normalisation des câbles supraconducteurs moyenne et haute tension et contribue au développement de solutions innovantes en basse tension.

Titulaire d’un doctorat de l’Université de Lorraine à Nancy, France, il est spécialisé dans les systèmes supraconducteurs et cryogéniques, avec une expertise complémentaire en architecture électrique.